Je viens de terminer Les nuages de Magellan d’Estelle Faye, un roman de science-fiction qui nous emmène loin dans le temps et dans l’espace aux côtés d’un duo féminin confronté à des aventures à la fois personnelles et universelles. Et malgré ce titre poétique qui fait envie, je n’ai pas été emballé par cette proposition, sans doute destinée à un public peu rompu aux choses de la science-fiction. Les personnages comme l’histoire m’ont paru superficiels, et les péripéties sont traitées bien trop rapidement pour qu’on ait une seule fois un sentiment de danger. Enfin, le style de ce livre est purement illustratif et donc totalement oubliable.
Avec Les nuages de Magellan, Estelle Faye propose un roman de science-fiction qui explore le sous-genre du Space Opéra, mâtiné de fantasy. On va découvrir des races extra-humaines, des mondes étranges, voyager dans des vaisseaux de différentes tailles et fonctions, on va vivre des combats, explorer des lieux communs comme l’incontournable taverne, et j’en passe. Les marqueurs sont bien présents. Côté personnages également : la pirate rompue à la stratégie et aux combats, la novice qui rêve d’ailleurs, le prêtre, le tout revisité pour s’accorder aux règles de l’univers d’Estelle Faye : on coche des cases. On coche aussi des cases des romans dits Young Adult : une protagoniste principale jeune, des héroïnes plutôt que des héros, la recherche d’identité et les relations amoureuses, une amitié forte, la révolte, la découverte de soi, un rythme rapide, un vocabulaire très accessible.
Un mot sur l’histoire : nous sommes 600 ans dans notre futur et l’humanité a conquis toute la Voie Lactée grâce à son utilisation de la matière noire. Mais désormais, l’exploration spatiale n’est plus d’actualité, puisque les Compagnies, qu’on comprend être une prolongation des firmes ultra-puissantes actuelles, gèrent les affaires à l’échelle de la galaxie d’une main de fer. Tout est rationnalisé, et il n’est pas question de dépenser des ressources, matérielles, financières, humaines (ou vivantes en tous cas) pour repousser les frontières du monde connu. Mais des révoltes grondent pour dire le mécontentement de la manière dont les Compagnies gèrent la Voie Lactée, et d’aucuns songent avec nostalgie à cette époque où les Pirates voguaient parmi les astres pour faire entendre une autre voix. Dan, elle, est une jeune serveuse vivant sur une planète paumée et qui rêve de voyager. Elle est fascinée par Mary, une cliente de son bar auréolée de mystère. Et évidemment, toutes deux vont se liguer dans une aventure qui les mènera… vous saurez où en lisant le roman.
Comme je l’ai dit en introduction, Estelle Faye nous fait visiter en 300 pages des tas d’environnements différents, et c’est plutôt bien… mais en même temps non. Parce que l’on passe très vite sur chaque lieu traversé, et par conséquent tout est survolé, surtout dans la seconde moitié du roman, et particulièrement dans le dernier quart, qui passe dans un souffle. Alors ça donne du rythme, certes, mais en même temps on ne retient rien, on ne s’attache à rien, et d’ailleurs cinq jours après avoir terminé ma lecture je serais bien incapable de citer un seul nom de planète ou de personnage, à part les deux principaux protagonistes et une figure de l’ancienne piraterie. En tous cas l’incitation au voyage que propose le titre est au rendez-vous, on ne peut pas le nier.
On voyage beaucoup, donc, dans Les nuages de Magellan, mais… on ne s’en rend pas compte. À part à la toute fin où il y a une notion de temps de voyage, tout semble instantané. D’une planète à une autre, il se passe une ligne. On ne ressent absolument aucune contrainte liée au voyage dans l’espace, un peu comme si aller d’une planète à une autre en franchissant des années-lumière n’était pas plus difficile que d’aller de Paris à Grenoble en TGV. Heu, pardon, ce serait même plus facile, parce que Paris-Grenoble, je ne vous raconte pas la galère. Alors bien sûr on n’est pas dans de la Hard SF où l’auteur tente de coller au maximum au savoir scientifique, mais je trouve dommage de complètement oblitérer cet aspect, qui de plus, rend l’obstination des Compagnies à ne pas aller plus loin assez incompréhensible. Perso, moi, je miserais gros sur le fait d’aller explorer les galaxies proches pour accroître mon capital potentiel vu que ça n’a pas l’air bien compliqué de parcourir des distances faramineuses.
Les Compagnies, justement : elles sont l’antagoniste de ce roman, mais un antagoniste intangible. Elles ne sont pas personnifiées, qualifiées, à part qu’elles sont très méchantes. Ça manque de substance. C’est dommage parce que le prologue laissait entendre quelque chose de très intéressant, mais qui est pratiquement évacué pour le reste du roman. Je dirais même que c’est le prologue qui m’a le plus intéressé, même s’il est un peu trop ancré dans le présent pour sembler réaliste dans un futur lointain.
Du côté des thèmes traités, c’est assez classique : capitalisme et oppression des masses, liberté, envie de grands espaces, de découverte, d’aller au-delà, répression, différences, piraterie, utopie, humanité (versus androïdes, machines, IA). Les arcs narratifs des personnages principaux sont également très classiques, mais bien traités. Quelques situations sont tirées par les cheveux, on a vraiment du mal à croire à certains passages (plutôt en fin de livre, qui semble avoir fait l’objet de coupes brutales tellement les péripéties sont survolées). Un bémol aussi sur l’impression que j’ai eue tout au long du roman, à part à la fin, que les héroïnes subissent les événements. Elles n’en sont quasiment jamais actrices. Ça n’aide pas non plus à s’attacher.
Un mot sur le style d’Estelle Faye, parce que quand même, en quatrième de couverture, on nous vend « une plume élégante ». Argh. On va me dire que tout est relatif, et qu’en comparaison d’une liste de course griffonnée sur un bout de papier, d’accord, ce texte est élégant. Mais il ne faudrait pas exagérer. Le style est quelconque, simple, parfois même familier, et surtout illustratif. J’ai noté quelques phrases qui m’ont fait soupirer, la pire étant sans doute : « Des peintures murales recouvraient des pans de murs. » Je ne sais pas ce que vous pensez de l’élégance de cette phrase, mais moi, perso, elle me laisse assez pantois. Et d’un point de vue éditorial, je ne sais pas comment on peut laisser passer une telle bourde en production.
En conclusion, Les nuages de Magellan est donc un roman de SF très abordable, qui louche un peu vers la fantasy, et qui peut plaire à un public jeune pas trop regardant sur la cohérence de l’univers proposé ni sur le style très illustratif. L’histoire se tient si on ne réfléchit pas trop, les arcs narratifs des personnages sont menés à bout. Si ce qui précède vous suffit, et qu’en plus vous aimez trouver des héroïnes plutôt que des héros, vous devriez passer un bon moment. Si vous cherchez davantage de profondeur, de cohérence, de réalisme, et un style élégant (pour de vrai), passez votre chemin.