De Profondis est un jeu rôle publié en 2001 en Pologne et traduit en français en 2005. Il est très particulier dans sa forme et dans sa proposition : à la place d’un livre traditionnel, on trouve une pochette cartonnée contenant quelques dizaines de lettres jaunies. Et à la place de fiches de personnage, de système, de lore, on trouve plutôt une description de la manière d’établir une correspondance écrite (de la vraie écriture à la main, envoyée par courrier, pas des emails qui donnent un sentiment d’immédiateté) entre deux joueurs ou plus, chacun interprétant un personnage confronté à des événements inexplicables.
Car nous sommes ici dans un jeu à la croisée entre écriture, correspondance et fantastique horrifique. Je vous en parle rapidement, puisque mon camarade de jeu Germi m’a proposé une partie que nous avons débutée avant l’été, et que je vais vous faire suivre tout au long de son déroulement.
De Profundis est un jeu de rôle épistolaire. Cela veut dire qu’il ne se joue pas autour d’une table, ni même à travers une plateforme virtuelle, mais à travers l’écriture de lettres.
Chaque joueur incarne un personnage, et ce personnage écrit à d’autres, témoignant de ses découvertes, de ses inquiétudes, de ses obsessions.
L’ambiance est profondément lovecraftienne : on y retrouve le doute, la paranoïa, la sensation que quelque chose de terrible se cache juste hors de portée de notre compréhension.
Mais ici, pas de dés, pas de règles complexes. Tout repose sur la plume, l’imagination, et la manière dont les correspondances s’entrelacent. Le jeu est autant une expérience de création littéraire qu’un jeu de rôle.
On peut l’imaginer comme un journal intime échangé entre personnages fictifs, où chaque lettre nourrit l’atmosphère, fait progresser une intrigue à la fois personnelle et collective, et construit un récit horrifique émergent.
Avec De Profundis, le lien avec les récits lovecraftiens est immédiat : on est pile dans l’idée de l’horreur cosmique qui sur un temps assez long, va pervertir le quotidien de gens normaux et les rendre petit à petit complètement obsédés par leurs recherches, puis probablement fous, le tout étant documenté dans des journaux intimes et des échanges épistolaires. Et bien sûr, le fait de forcer, entre gros guillemets, les joueurs à échanger par courrier permet sans doute d’approcher la lente montée en tension au fur et à mesure de l’apparition d’événements étranges.
Il n’y a donc pas de MJ ni de scénario dans De Profondis, chaque participant inventant au fil de l’eau, sur la base des échanges précédant, la suite de l’histoire. On est donc plutôt dans un exercice de cadavre exquis, mais sous une forme épistolaire. Pour les joueurs les plus motivés, l’exercice peut s’adjoindre de travaux manuels en cherchant à recréer des lettres fleurant bon les années où se déroule l’histoire (les années 20 si l’on veut coller aux écrits initiaux de Lovecraft, mais rien n’empêche de se situer à une autre époque, et dans un autre pays). Papier à lettre, plume, enveloppe, timbre, feront partie de l’expérience immersive.
Évidemment, il faut aimer écrire, il faut être patient, et surtout il faut avoir un ou des partenaires de jeu motivés pour apprécier l’expérience. Mais ceci étant respecté, la plongée dans l’angoisse des horreurs lovecraftiennes est au rendez-vous. L’aide de jeu permet aux moins inspirés de construire petit à petit leur échange en suivant des phases de montée en tension, de révélation, de perdition, et pour les autres, c’est juste une page blanche à emplir des élucubrations les plus folles.
Point très positif et rarement possible dans les jdr traditionnels : les joueurs qui aiment développer des personnages sur le long terme auront toute latitude pour le faire, avec la possibilité d’intégrer l’histoire propre à la période jouée. Vous avez en effet le temps pour vous documenter et jouer avec les lieux, les personnages, les événements pour créer une toile calquée sur la réalité mais flirtant avec le surnaturel. Sensations de créer son propre récit dans la lignée des grands maîtres garantie.
J’en profite ici pour remercier Germi qui m’a embarqué dans ce jeu, sans réellement me prévenir. Il m’a juste demandé de créer un personnage dans la France de l’entre-deux guerres, sans m’en dire plus, et j’ai eu l’excellente surprise de recevoir un courrier par voie postale quelques semaines plus tard. Et par la suite, le plaisir est à l’aulne de l’attente : de quelle manière mon correspondant va-t-il rebondir sur la proposition que je lui ai faite ?
Le jeu séquentiel permet de prendre son temps, il n’y a aucune urgence à répondre. Ça permet de densifier sa réponse, de créer des opportunités dont l’autre aura tôt fait de se saisir, ou pas. À la fin, si fin il y a, on obtient une histoire horrifique émergente – rien n’est écrit à l’avance – et c’est précisément ce que je vous propose d’écouter dans le cadre de cette playlist. Il vous suffit de cliquer par ici pour découvrir les deux personnages que nous allons incarner, puis écouter l’enregistrement audio des premières lettres de Jacob Hirschmann et Tanguy Le Bihan. Et si vous voulez discuter de cette forme de jdr, n’hésitez pas à passer sur mon Discord, vous trouverez le lien en commentaire.