Je viens de terminer Ravage, mais pas celui de René Barjavel que j’ai déjà chroniqué sur ma chaîne il y a quelques temps, non, celui de Ian Manook. C’est un roman tiré de faits réels qui nous propulse en 1931 dans le grand nord canadien. On y suit une chasse à l’homme flirtant entre justice et vengeance, entre loi et soif de sang. Ce livre m’a été très chaudement recommandé par Laurent, ami lecteur, et je suis malheureusement un peu resté sur ma faim. Ou plutôt j’en ai trop eu et j’ai frôlé l’indigestion. Ravage est lourd, long, froid, blanc, morne. Comme le grand nord canadien par -50, en somme.
Ravage, de Ian Manook, c’est un croisement entre un roman d’aventures, un western, et une étude de personnage. Nous sommes en 1931, en hiver, dans le grand nord canadien. Les villages isolés sont assommés par les assauts du blizzard et des températures descendant régulièrement sous les -40°C. Les hommes parcourent les étendues glacées entre lacs, montagnes et rivières sur leurs traîneaux tirés par des équipages de chiens. Les trappeurs subissent l’hiver et rares sont ceux qui exercent encore. Les Indiens, ces différentes peuples natifs qui se sont vu déposséder de leurs terres, errent entre deux tempêtes. Plats roboratifs à base de viande en sauce et alcools bon marché remplissent les estomacs et embrument les esprits. Dans ces territoires désolés, la loi n’est pas facile à maintenir. Et la loi, justement, c’est Walker. Avec ses adjoints et les trappeurs se rangeant sous son commandement, il va mener une chasse à l’homme interminable, bravant le froid, l’ingéniosité et l’endurance de leur cible, et les velléités de ses hommes. Qui sortira vainqueur de ce duel à distance, c’est tout l’enjeu du livre.
La première impression au travers du prologue de quelques pages : très chouette ! On va se retrouver plongé dans une aventure glacée palpitante ! Et puis… L’histoire se répète. Une fois. Deux fois. Trois fois. Quatre f… Bon j’arrête là, mais vous avez compris. Ce qui était présenté comme incroyable, inhumain, impossible, devient une norme que l’auteur répète à l’envi. Ainsi ce roman se transforme en une longue suite de situations pratiquement identiques ne variant que parce que le lieu où elles se déroulent et les protagonistes sont un peu différents, mais en gros, ça ressemble à :
« – Chef, Jones nous a échappé, il a franchi les montagnes.
– Quoi ? Mais c’est impossible ! Jones n’a pas pu faire ça ! Personne ne peut faire ça !
– Chef, on vient de trouver des preuves que Jones est passé par là. Il a réalisé l’impossible.
– Diantre ! Quel homme ! Poursuivons-le plus loin alors ! »
Donc oui, on se retrouve dans le grand nord canadien, il est question de survie, de chiens de traîneaux, de rivières et lacs gelés, de logistique, de montagnes infranchissables, d’avion risquant de se briser les ailes au milieu de tempêtes invraisemblables, de blizzard et de températures innommables, de chutes de neige ensevelissant les tentes, de brouillards vous empêchant de voir vos mains… Mais finalement, tout ceci est intangible, impalpable. Finalement, personne ne souffre tant de cet environnement : personne ne se perd, personne ne meurt gelé, les chiens n’ont pas l’air de trop mal se porter. L’auteur nous dit que c’est dur, mais on ne le ressent pas. Sans compter bien sûr les exploits du fugitif, qui doit être un croisement entre Superman et un moine bouddhiste. Ian Manook a choisi de ne pas du tout nous le montrer, de nous proposer la vision du groupe de traque, et par conséquent ce Jones est pour le lecteur comme pour les chasseurs : une entité intangible, impalpable, presque un fantôme dans le blizzard. C’est encore renforcé par les références explicites de l’auteur au fait que les poursuivants ne savent même pas qui il est, finalement, ni même son nom. Mais nous non plus, on ne sait rien, et par conséquent, on ne s’y attache guère. Et j’ai finalement eu envie assez tôt qu’il se fasse prendre histoire de passer à un autre bouquin sans plus tarder. De toute façon, la fin on la devine au bout de trente pages, il ne reste donc que le voyage, un voyage comme je l’ai dit assez terne.
Tout ceci doit vous sembler bien négatif, mais j’ai quand même trouvé des points positifs à ce livre, n’exagérons pas. D’abord cette histoire, tirée de faits réels, assez improbable. Ce côté Rambo avant l’heure avec un injustice patente, et des représentants de la loi assez peu sympathiques. Et puis des questionnements sur la liberté, les frontières et la liberté d’aller et venir, la justice, la soif du sang, l’effet de meute, le devoir, l’altérité, la revanche, la cohabitation, la spoliation… Les thèmes traités sont intéressants, mais n’ont pas grand-chose d’original dans leur traitement.
Du côté des personnages, j’ai trouvé de l’inconsistance, avec des comportements qui dissonent parfois avec la manière dont ils avaient été caractérisés jusqu’à présent. Je pense à Walker, à Claudel par exemple. C’est un tout petit peu dommage, parce qu’en dehors de ces écarts ce sont de chouettes études de personnages, notamment Walker et Wright, qui transportent sur leur dos tout le poids de leur passé dans l’armée.
Une note positive pour la très belle couverture aux éditions Guérin, ainsi que pour la carte au tout début de l’ouvrage, heureusement ! J’ai également apprécié les écarts sur la faune en seconde partie du livre, même si par moment on se demande s’il n’y a pas eu par erreur un croisement de manuscrits entre un livre d’ornithologie et ce roman. À noter que le titre prend tout son sens vers les 4/5e du livre, et qu’il répond de belle manière à l’interrogation à son sujet.
Un mot sur le style, plutôt descriptif, illustratif, toujours au présent. Je n’ai pas du tout été transcendé, et surtout je n’ai pas ressenti ce que l’auteur proposait. Je l’ai lu, je l’ai compris, intellectualisé, mais ça ne m’a pas touché. Je n’ai pas eu froid, je n’ai pas eu peur, je n’ai pas été pris de pitié ou d’envie. J’ai été témoin, pas acteur.
Et voilà, contrairement à mon ami Laurent, je ne conseillerais pas spécialement Ravage de Ian Manook, lui préférant des livres comme L’appel de la forêt ou Croc-Blanc. Ce n’est pas du tout un mauvais livre, mais les péripéties toujours répétées, les tours et détours et le style plat m’ont donné l’impression de tourner en rond et d’être perdu dans un grand vide blanc, un peu comme les protagonistes de ce roman. Si c’est le but souhaité par l’auteur, c’est réussi, mais je m’attendais à autre chose.
Bonne lecture au coin du feu, à l’abri du blizzard.